La nuit tombait, le regard de Sanghun se baladait sur la vue qui s'offrait à lui. Des paysages rocheux, montagneux, naturels, rien de plus beau que cela d'après lui. Il se mit à observer ses mains. Elles avaient un peu grandit, elles étaient plus propres et plus masculines que dans son souvenir. Il était dans cette maison chaleureuse depuis plusieurs mois, il s'y sentait bien, était aimé et ne manquait absolument de rien. Son nouveau père lui ramenait des souvenirs de ses aventures, et l'aidait à vendre des objets sur les marchés afin que le gamin puisse vivre durant son absence. Il s'était rapidement habitué à la solitude et aux longs voyages de son parent, mais chaque fois, l'inquiétude était la même, il craignait de ne plus le voir passer le pas de la porte. Ils vivaient dans une ville calme, dans un climat naturel, qui s'appelait Dzag. Après le passage de la grotte, il fallait bien sûr retrouver le chemin vers Dzag, et ce ne fut pas aisé pour Sanghun, qui ne connaissait pas les dangers des lieux. Il apprit à survivre sur le tas, sa volonté était forte, et les histoires que lui racontait son père, Jun, était plus que passionnante. Son envie de ressentir cette adrénaline pour l'aventure l'avait poussé à éviter de tomber du haut d'une falaise. Il soupira et sauta par sa fenêtre, afin d'atteindre le sol froid de l'extérieur. Il ne parvenait pas à dormir, ses nuits étaient courtes, et il se réveillait souvent avec des migraines, alors il préférait marcher pour oublier que de rester pour ruminer.
Ce soir-là, tout était similaire ; le peu de gens présents, les mêmes rues, les paysages identiques. Il connaissait les ruelles, les impasses, les grandes rues, les boutiques par cœur ; leurs noms, leurs qualités, leurs emplacements. La journée, il allait à l'école, continuant son apprentissage des langues et des différentes matières, mais la nuit, il était comme un chat, se baladant, les mains dans les poches à la recherche d'une distraction, d'un événement qui changerait sa vie. Cela devait être un soir comme tous les autres, mais son esprit curieux l'aventura un peu plus loin des portes de la ville. Après avoir jeté un œil derrière lui, il suivit le chemin tracé par les nombreux passants, les oreilles grandes ouvertes. Un seul bruit étrange, et il détalerait aussi vite qu'un guépard pour se réfugier chez lui. Il marcha plusieurs minutes, jusqu'à entendre des gémissements plaintifs. Il mit ses sens en alerte, prêt à s'enfuir au moindre geste suspect, mais ce qu'il écoutait ressemblait à des pleurs. Il s'approcha encore un peu, et aperçut une forme indistincte dans une couverture, parmi plusieurs débris. Il reconnaissait là un chariot à la renverse, des provisions volées, mais pas de corps. Il se permit de s'approcher avec prudence de cette « chose » qui pleurait de plus en plus fort et souleva le haut de la couverture. Il écarquilla les yeux, surpris de voir un gosse plus petit que lui, sans défense, abandonné sur le bord d'une route, parmi une cargaison détruite. « Viens. » se contenta de dire Sanghun à ce petit être tremblant. Il prit sa main, et le fit trottiner sur le chemin du retour. Et pas une seule fois, il ne regarda en arrière.
Ses mains tenaient difficilement la surface rocheuses, et il jetait un regard meurtrier à son acolyte. Hoseok, ce sale gosse d'environ trois ans de moins que lui, celui-là même qu'il avait recueilli il y a plusieurs années maintenant, venait de les mettre dans une situation délicate. Le danger, ils aimaient ça tous les deux, mais être sur le point de mourir, beaucoup moins. « je t'avais pourtant dit de ne pas faire de bruits » se permit de chuchoter le plus vieux à l'attention de son fidèle coéquipier. Ils venaient d'attirer des loups sauvages, pas de quoi être fiers, juste parce que Hoseok avait été négligent juste une seconde. Pour se protéger, se cacher, ils n'avaient pas eu le choix que de descendre sur la paroi de la montagne, et de s'y accrocher le temps de remonter. Sans cordes, au dessus de plusieurs centaines de mètres de vide, Sanghun était vraiment heureux. Il inspecta les lieux du regard, puis posa son pied sur une roche qui semblait stable. Il prit une grande inspiration avant de sauter jusqu'à un autre bord, un peu plus bas. Là, il y avait une ouverture, sans doute une grotte, et ils allaient au moins avoir les deux pieds sur un vrai sol. Il ne douta pas une seule seconde que son ami le suivait, mais lui fit un signe d'attendre quelques secondes. Sur la plate-forme neigeuse, Sanghun se mit au bord, afin de pouvoir saisir la main de Hoseok, histoire qu'il ne meurt pas en se loupant. […] c'était difficile de voir quelque chose, il faisait vraiment noir, même avec des lampes torches. Sanghun faisait attention à ne pas perdre son jeune frère, ce dernier avait décidé de se venger des paroles du plus vieux, et lui fit un croche-patte, ce qui fit perdre légèrement l'équilibre à Sanghun. Ce dernier le fixa quelques instants, d'un air blasé avant de lui balancer « t'es sérieux là ? Tu crois que c'est le moment ? ». Il regretta aussitôt ses paroles, parce que Hoseok n'avait pas dit son dernier mot. Commença une partie de « celui qui tombera le premier », un jeu qu'ils affectionnaient tout particulier, et durant lequel tous les coups étaient permis, mais ils riaient aussi comme des gosses. Un grondement sourd se fit entendre, les arrêtant net. « ok, faut pas traîner, je le sens mal. » Les deux frères prirent leurs jambes à leur cou, jusqu'à l'entrée de la grotte, mais le même problème subsistait : comment rentrer avec les loups là-haut, sur le chemin du retour ? En face, une petite corniche leur permettrait d'être sauvé, mais seulement s'ils parvenaient à l'attraper. Sanghun regarda avec appréhension l'intérieur de la grotte, et entendit quelque chose arriver. Pas le temps d'attendre afin de voir ce que c'était, fallait sauter, où ils étaient morts. « t'es prêt ? » Ils prirent de l'élan, et se mirent à courir ensemble avant de sauter au dessus du vide.
Il n'était pas rare de les voir ensemble, se balader dans les rues des capitales, à la recherche d'une quelconque mission, ou tout simplement pour assister à des ventes, ce qui leur permettait de gagner de l'argent. Leur père avait arrêté son travail pour s'occuper de son petit jardin. Depuis sa retraite, il devait s'occuper, et avait donc acheté deux chiens ainsi que quelques poules, et fabriqué un petit potager. Il passait ses journées à regarder ses animaux interagir différemment avec leur environnement, mais surtout, il semblait fatigué. Épuisé d'avoir eu une vie ainsi. Alors il comptait sur ses deux fils pour l'entretenir jusqu'à la fin de sa vie, ce que les deux garçons faisaient avec grand plaisir. Ce n'était pas une corvée, juste normal de prendre soin de leur père. Lui qui les avait recueilli aussi chaleureusement. Dans leur chambre d'hôtel temporaire à Ulaangom, Sanghun se regardait dans le miroir de la salle de bains, observant ses traits, ses cicatrices. Il se posait beaucoup de questions dont une qui revenait assez régulièrement dans une même journée : lui dire ou non ? Il ne savait pas quand ses sentiments envers Hoseok avaient changé autant, mais il en était sûr. Il était son frère, oui, mais à vrai dire, aucun lien de sang ne les reliait vraiment. Il se permettait donc de les accepter sans trop de difficultés, mais avait la ferme intention de taire les battements de son cœur, son inquiétude parfois maladive et ses autres réactions étranges. Il se contenait beaucoup, mais dieu merci, son ami n'avait pas l'air de remarquer quelque chose. Peut-être que l'affection entre eux était normale, anodine, puisqu'ils étaient frères, mais Sanghun ne voyait plus les choses du même œil et c'était cela qui le rendait aussi mal.
« C'est de par leur caractère que les hommes sont ce qu'ils sont, mais c'est de par leurs actions qu'ils sont heureux, ou le contraire. » Pensez-vous que Aristote avait raison ? Et si Sanghun devait agir autrement afin d'obtenir un vrai bonheur ? Le voilà aujourd'hui âgé de presque 26 ans, il regarde le ciel et se demande de quoi demain sera fait. Une chose est sûre : « If I die tommorow, i would never regret ».