histoire —

▬ J’ai encore rêvé du passé. Encore. Sauf que cette fois-ci, je n’arrivais pas à m’échapper. Cette fois-ci j’étais prisonnier de mon corps et livré à l’enfer. Je n’arrive pas à oublier. Chaque nuit j’en rêve, et chaque nuit je crains qu’on me retrouve …

On disait souvent que pour guérir, pour oublier il fallait en parler. Une bonne fois pour toute. Comme les cauchemars, il fallait les raconter pour ne pas les refaire. Mais Xiao Lu ne savait pas forcément à qui raconter  son passé, son cauchemar. Ca faisait quelques temps, plus d’un an, qu’il s’était installé à la capitale des Wise, Ulaangom, et qu’il y avait ouvert un petit café, retapant un local, et utilisant l’argent qu’il avait pour s’occuper du commerce. Ca faisait plus d’un an qu’il était libre. Libre, il avait l’impression d’avoir du la payer au prix fort sa liberté, tellement que ça ne cessait jamais de le poursuivre. Installé à son bureau, il regardait le carnet devant lui avec un air mauvais. Parce qu’il avait beau écrire, beau coucher ses doutes, ses craintes, ses pleurs entre les pages du petit journal, il n’arrivait pas à oublier. Il y avait couché son enfance, ses parents aimants, un temps seulement, le fait qu’il n’aimait pas son prénom, même s’il collait à son visage. Xiao Lu, signifiant tout simplement un faon, avec les caractères de petit et de cerf. Ca lui allait tellement à l’époque, peut-être encore maintenant. Xiao Lu tellement heureux avec ses grands yeux et ses petites mains. Mais le bonheur n’a duré que jusqu’à ses treize ans. Treize ans de sursis avant la peine capitale. Ses parents manquaient d’argent, son père avait perdu son travail, et il n’en trouvait pas d’autres. Il s’était mis à fréquenter des endroits malfamés, des gens douteux. Puis un soir un peu éméché il s’était énervé contre lui, la bouteille à la main, prêt à frapper cet enfant qui refusait de dormir, dans sa période de rébellion. Mais il n’avait jamais fini son geste. Et le lendemain Xiao Lu commençait son premier travail, abandonnant l’école.

Ca avait commencé doucement. Rien de mal. Amadouer certaines personnes aussi bien des hommes que des femmes pour récupérer de l’argent. C’était juste ça. Sa jolie présence. Mais peu à peu ça avait changé. Il n’était plus simplement un petit ramasseur d’argent, il avait du se mettre à voler. Placer de la drogue dans les verres, vider la maison des biens précieux et disparaître au lever du jour. Il avait obéi à son père bien sûr, effrayé par celui-ci, par sa main leste et par les coups de ceinture qu’il avait reçu une fois quand il n’avait pas ramené assez d’argent. Sa peau en avait gardé les traces pendant de longs mois. Alors oui, d’Escort Boy il était passé à voleur. Profession à plein temps. Il n’avait même pas fini le collège. Il savait très bien qu’il ne remettrait pas les pieds dans une école. Puis ce n’était jamais assez jamais. Et son père voyait toujours plus concernant le profit, et l’argent qu’il pouvait lui ramener. Sa mère ? Oh elle ne disait rien, silencieuse laissant son homme faire ses magouilles s’occupant de sa petite sœur, à peine plus jeune, et la protégeant des affaires sombres qu’il se passait entre son mari et son fils. Mais qui ne dit mot consent. Sa mère avait accepté sa déchéance et n’avait jamais tendu la main pour l’aider. Elle avait reporté tout son amour sur sa fille, fermant les yeux sur les suppliques silencieuses de Xiao Lu.

Mais non ce n’était jamais assez. Et Xiao Lu avait seize ans, et il ne s’en sortirait pas. Il était effacé, obéissant docile. Il n’y avait plus de suppliques, plus de révoltes. Il subissait. Jusqu’au moment où on passa à la case supérieure. Escort Boy, Voleur, Prostitué. Oui avec papa comme maquereau. Il avait fait son premier boulot avec une femme plutôt riche. Etait rentré chez lui avec une liasse d’argent, plus la boîte à bijoux qu’il avait volé. Il était passé au dessus de sa honte que son père l’ait vendu. Puis il était mignon. Adorable. Alors il avait intéressé des hommes aussi. Parfois il volait ses clients, parfois il était assez payé pour que non. C’était comme un cercle vicieux. Ramener de l’argent, attendre les félicitations de son père, prier pour qu’il ne soit pas bourré, craindre la ceinture et repartir si ce n’était pas assez. Il ne pensait même plus à s’enfuir. Ca paraissait si ridicule. Mais il rêvait d’un ailleurs. Docile petit faon, obéissant petit faon qui se laissait faire par des hommes et des femmes, le regard vide portait vers un ailleurs. Jusqu’à ce dernier client. Un homme riche et dangereux qui espérait devenir le baron des Hasty. Son père s’était dit qu’en le mettant dans son lit, il pourrait également s’élever dans la hiérarchie sociale. Mais cet homme … Il en crevait de peur. Il l’avait regardé dans les yeux, et Xiao Lu n’avait vu que de la cruauté. Alors il avait demandé à son père s’il ne pouvait pas trouver quelqu’un d’autre et il avait eu le ceinturon marqué entre ses omoplates en guise de réponse.

Cette nuit là, les mains du jeune Xiao Lu d’à peine dix-neuf ans furent plongées dans le sang. Parce que cette nuit-là, alors que son père attendait de le petit cabinet d’une grande maison que son fils fasse son boulot, Xiao Lu tua. Il tua tellement il était effrayé. Il tua les larmes aux yeux, le corps bafoué cet homme qui voulait le marquer comme une possession, le fer rouge embrasant les draps pendant qu’il étouffait quelqu’un. Et cette nuit là, l’esprit du jeune homme se révolta, décidant qu’il ne rentrerait pas chez lui. Se rhabillant le plus vite possible, ses mains ne cessant de trembler, il récupéra le poignard qu’il y avait exposé sur la commode, il récupéra tout l’argent et tous les bijoux possible, malgré les flammes, malgré la chaleur, et il sortit de là et assassina son père froidement. Il voulait sa liberté, il voulait vivre loin de tout ça, loin de l’horreur. Et tant que son géniteur serait vivant, il ne pourrait pas le faire. Cette nuit là, il dormit à la gare, espérant que l’aube ne se lève jamais. Mais le soleil se leva, et Xiao Lu s’échappa partant pour une ville inconnue ou personne ne le jugerait et où il pourrait vivre seul, libre. Mais la liberté est dure à acquérir, et vivre n’est pas si simple.

▬ Je voudrais oublier. Je rêve d’oublier. Je suis détraqué parfois. Je me dis que les gens me veulent du mal, je les crains avant de me rappeler qu’ici, personne ne sait ce que j’ai fais, qu’ici personne ne me forcera à faire ces choses horribles. C’est juste que je n’arrive pas à oublier. Je n’arrive pas à guérir. A défaut de m’échapper, j’aurais peut-être du brûler dans cet enfer. Peut-être.